Année scolaire 2002/2003 : travaux d'élèves de 4F |
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LE TABLEAU par Julie G |
L'HOMME SANS YEUX par Julie G1 |
LE SPECTRE par Fabienne G2 |
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Le tableau, récit fantastique de Julie G |
Clinique psychiatrique des Lilas A
M.
PICHON Thomas
A Aix les Bains,
Objet : Annonce de décès.
Cher Monsieur, J’ai le regret de vous annoncer le décès de M. Romain Pichon, mort le 12 mai 1986 et interné dans la clinique psychiatrique des Lilas le 12 mai 1985. Nous ne savons pas encore la cause exacte de la mort de votre oncle. Je l’avais moi-même examiné quelques jours auparavant, rien ne laissait présager une fin aussi rapide, je l’avais trouvé beaucoup plus serein que lors de ma dernière consultation. Je dois vous avouer que, s’il allait bien moralement, son état physique se dégradait au contraire de jour en jour : il ne se rasait plus, ne se lavait plus, ne se changeait plus et ne voulait même plus sortir de sa chambre. Nous pensons que les décès de sa femme et de sa fille ne sont sûrement pas étrangers à ce laisser aller car il en parlait sans arrêt. La seule chose qui a paru très étrange, lorsque les enquêteurs ont examiné sa chambre après son décès, c’est le tableau qui était accroché au mur de sa chambre : celui-ci représentait un château du Moyen Age dont nul n’a pu expliquer la provenance. D ‘après l’aide soignante de garde, le mur était nu la veille. Nous avons aussi retrouvé une sorte de journal, accompagné d’une lettre adressée à votre nom, que je vous envoie ci-joints. Nous vous présentons nos sincères condoléances, et vous prions de croire, Monsieur, à nos sentiments respectueux.
Docteur Moindront Clinique Psychiatrique des Lilas
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Cher Thomas,
Tu dois tout d’abord savoir que tu étais l’être le plus cher à mes yeux, celui en qui j’avais le plus confiance. Personne, à part toi, n’a voulu croire aux véritables circonstances de la mort de Julia et d’Océane. Ils m’ont tous pris pour un fou. Durant les quelques mois passés dans cet hôpital, j’ai résumé ma vie dans le journal qui accompagne cette lettre . Je sais que je vais mourir. C’est mieux pour tout le monde. Je ne peux pas rester plus longtemps dans cet asile. Je ne veux pas que tu pleures, mais simplement que tu gardes un souvenir de moi à travers ce journal. Tu sais, je vais juste passer de l’autre côté du mur, pour retrouver mes deux amours. Je suis sûr que nous nous retrouverons un jour ; mais pour le moment, je veux que tu vives ta vie et que tu ries encore en parlant de moi.
Je te quitte, adieu. Romain, ton oncle.
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J’ai beaucoup de souvenirs de mon enfance. Je suis né le 3 mars 1946 à St Denis, mon nom est Romain, Romain Pichon. Je suis brun et mes yeux sont bleus. Mon teint n’est pas très coloré, je suis de taille moyenne et assez mince. Deux ans après ma naissance, arriva mon petit frère Charles, un garçon assez prétentieux mais qui compte beaucoup pour moi. Vers l’âge de trois ans, je suis rentré à la maternelle où j’ai fait la connaissance de Jean, un garçon très généreux qui a été tout au long de ma vie mon meilleur ami. En septembre 1951, je rentrai en première année d’école primaire où j’ai appris petit à petit la lecture puis l’écriture. Pendant mes années de primaire on s’est beaucoup moqué de moi à cause de ma petite taille. Je suis resté longtemps petit. Ensuite je suis parti au collège. Quand je suis arrivé en 6ème, Jean et moi avons été séparés, mais on se voyait toujours entre les cours et nous restions ensemble pendant les récréations. Je m’étais fait d’autres amis dans ce collège. D’abord Jérémy, un garçon très drôle et assez cancre, il était blond avec des yeux verts en amande. En 5ème, j’ai rencontré Stéphane, qui était plus réservé, mais tout aussi sympathique. C’était souvent lui qui nous aidait lors des contrôles difficiles. Puis est venu la 4ème où je suis tombé amoureux pour la première fois. Elle s’appelait Justine, c’était une fille remarquable. Elle portait de longs cheveux châtains et elle avait de grands yeux bleus. Ce fut aussi le moment merveilleux de mon premier baiser. Ma dernière année de collège, en 3ème, a été une année un peu plus dure que les autres, mais je réussis quand même mon brevet pour ensuite passer au lycée. Mes années de collège resteront toujours les meilleurs moments de ma vie : les rigolades avec mes amis, les convocations chez le principal M. Talon avec Jérémy où l’on se moquait un peu de lui et les crises de nerfs que l’on faisait prendre à Mme Chimard notre professeur de langues. Je suis ensuite allé au lycée où, en 1963 j’ai réussi mon bac avec mention « très bien ». En 1969 je suis parti pour une grande école de formation des maîtres : l’IUFM. Entre temps, j’ai fait mon service militaire de septembre 1969 à août 1970. Je n’étais pas bien fait pour ça, mais cette année m’apprit tout de même la discipline et la rigueur. J’ai continué mes études pour devenir instituteur et j’ai rencontré la femme de ma vie, Julia, qui faisait les même études que moi. Elle était blonde avec des yeux verts. C’était une fille de caractère ! Mon frère s’est marié en juillet 1978 avec une riche héritière, Marie-Rose. Ils ont eu un enfant deux ans plus tard, Thomas. Julia et moi sommes devenus tous les deux instituteurs dans la même école aux alentours de Paris. Nous nous sommes mariés le 12 mai 1980. Enfin, en 1983 un petit bébé est arrivé : Océane. Je menais quand même une belle vie et notre fille grandissait de jour en jour ; elle avait maintenant deux ans. Nous nous étions installés dans une maison très confortable, elle était assez grande, avec deux étages et notre petite Océane s’y plaisait beaucoup ; elle savait désormais marcher. Mais un jour, plus précisément le 9 Février de l’année 1985, quelque chose d’inattendu et de très surprenant, à la limite du réel, arriva. Comme tous les soirs, après une journée de travail, Julia, Océane et moi, rentrâmes à la maison pour dîner. Nous étions donc en train de manger un potage, quand mes yeux se rivèrent sur le tableau que m’avaient légué mes grands-parents. C’était un tableau figuratif représentant un château du moyen âge. Mais, ce soir là, il me parut étrange car, tout à coup, une lumière apparut derrière une fenêtre. Je pris ma tête entre mes deux mains et me ressaisis. Mais quand mon regard se tourna une seconde fois sur cette peinture, plusieurs fenêtres étaient allumées et les branches des arbres de l’allée centrale, se mirent à bouger. Je commençais à me demander si je n’avais pas de la fièvre. Je voulus regarder ce phénomène de plus près. J’allai chercher une loupe dans le tiroir, et observai la toile pour la troisième fois. D’un seul coup, j’aperçus un homme dans le château. Il m’écrivit un message sur la vitre d’une des fenêtres allumées et je pus voir inscrit : AU SECOURS ! J’avoue que cela me glaça le sang. C’est comme si le château revivait. Plusieurs jours passèrent, et tous les soirs, à la même heure, le tableau s’animait. Cela ne pouvait plus durer ! Nous étions tellement effrayés, que je pris mon courage à deux mains et décrochai le tableau pour l’emmener au grenier. Je m’apprêtais à le déposer dans un vieux carton, lorsque la porte du grenier se referma en claquant. J’étais plongé dans les ténèbres. Les lueurs du château recommencèrent à briller. Effrayé, je cherchai à tâtons la porte, pris mes jambes à mon cou et redescendis à toute vitesse les escaliers. Ce phénomène avait bouleversé ma vie. J’appréhendais tous les soirs avant d’aller me coucher, d’entendre à nouveau des bruits mystérieux provenant de mon grenier. Un soir où je rentrai un peu plus tard que prévu, j’appelai ma femme, mais elle ne répondait pas. D’un seul coup une lumière aveuglante sortit du grenier. Je montai les escaliers quatre à quatre, quand je vis Julia et Océane se faire aspirer par cette toile horrifiante. J’étais désemparé. Pourquoi cela m’arrivait-il ? Méritais-je ce malheur ? Et jusqu’à quand ce fait étrange allait-il durer ? Il fallait que je réagisse, mais que faire ? Sur ces entrefaites, mon frère arriva : « - Je suis arrivé dès que possible, comment vas-tu ? me dit-il avec un air désolé. -Mais comment as –tu su ? lui demandai-je. -Enfin Romain, reprends-toi ! C’est toi-même qui m’as téléphoné il n’y a même pas une heure. -Je ne t’ai pas du tout téléphoné ! -Voyons Romain, arrête de faire l’enfant, me raisonna Charles, tu sais très bien que Julia et Océane sont mortes dans cet accident de voiture ! -Pas du tout ! Quand je suis rentré à la maison, je n’ai trouvé ni Julia, ni Océane. Puis j’ai vu une lumière éblouissante jaillir du grenier et quand je suis monté… Elles se sont fait aspirer Charles ! Dans le tableau ! -Mais de quoi parles-tu ? s’étonna-t-il. -Mais le tableau de grand-mère ! Il…il est hanté ! -Mon pauvre Romain, c’est le choc je comprends, s’exclama mon frère. -Non, tu ne comprends rien, répliquai-je dans l’espoir de lui ouvrir les yeux. Viens, monte au grenier, tu verras. » Malheureusement, quand Charles et moi arrivâmes dans le grenier le tableau avait disparu : « -Puisque je te dis qu’il était là ! -Tu deviens paranoïaque ! -Il faut que je retrouve cette toile, c’est la seule chance de pouvoir encore sauver ma femme et ma fille. -Romain, tu n’es pas dans ton état normal. Tu ne peux pas sortir comme ça ! s’exclama mon frère. Je sais que ça doit être un choc terrible pour toi, tu devrais te reposer, je te le conseille... -Mais je ne suis pas fou ! » Je répétai cette phrase une dizaine de fois. Malheureusement Charles ne voulait pas me croire et décida à contre-cœur d’appeler l’hôpital psychiatrique. J’eus à peine le temps de leur expliquer mon histoire, que j’étais déjà transféré dans cette clinique. Nous sommes le 12 Mai 1985 et ma vie vient de s’arrêter. Je viens de comprendre que je suis dans un hôpital d’aliénés… Je vis, enfermé dans une chambre exiguë aux fenêtres garnie de gros barreaux en fer. Je n’ai plus aucune raison de vivre. Ma femme et ma fille me manquent cruellement. J’en suis venu à refuser toute nourriture. Plus rien désormais ne m’intéresse ici-bas. Je suis là, mon corps est là, mais je n’existe plus. Je n’entends même plus les bruits qui m’entourent. J’espère mon départ imminent de ce monde car ma vie sans Julia et Océane n’a pas de sens. Le docteur Moindront, mon psychiatre, ne se doute pas de l’horreur que j’éprouve pour la vie. Je discute souvent avec lui et ne lui montre pas ma souffrance. Il semble me voir en bonne voie de guérison. Je le laisse croire à la rémission de mon mal. Je sais, moi, que je ne me remettrai jamais de la disparition de ma femme et de ma fille. Je dis bien disparition, car les autres me parlent sans cesse de l’accident. Ils prétendent, comme mon frère que c’était un accident de voiture.
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L'homme sans yeux, récit fantastique de Julie G1 |
M.
Fargue Laurent À
Louis Lauria
St Jean de Morien, le, 6 juin 2003
Objet : Annonce de décès
Monsieur,
J’ai la tristesse de vous annoncer que votre oncle, Monsieur Lauria Matthew, est décédé le 3 juin 2003. Après en avoir été informé, je me dois de tenir la promesse faite au chevet de M. Lauria. En effet, celui-ci a demandé qu’après sa mort, je vous informe personnellement de son décès. Votre oncle n’a pas supporté ces années passées dans notre clinique, et, à plusieurs reprises, il a tenté de se donner la mort. Le 3 juin dernier, la vigilance des infirmiers n’a pas suffi à éviter son suicide : ayant avalé plusieurs médicaments nocifs dérobés dans la pharmacie de la clinique, il est parvenu à mettre fin à ses jours. Vous me voyez désolé de vous apprendre cette triste nouvelle par l’intermédiaire de cette lettre. Peut-être que celle-ci vous affectera moins, si je vous dis qu’il était devenu l’ombre de lui-même. Il parlait sans arrêt de sa femme et de sa fille décédées tragiquement dans la catastrophe aérienne que vous connaissez. Je pense qu’il ne pouvait plus trouver de repos sur cette terre car ses crises de paranoïa et d’anxiété devenaient de plus en plus fréquentes et il voyait réapparaître « l’homme sans yeux », comme il avait coutume de le dire. Permettez-moi d’affirmer qu’il a enfin trouvé le repos et que cela doit vous consoler de la perte de votre oncle. Je vous prie d’ agréer, Monsieur, mes très sincères condoléances. Fargue Laurent
PS :
Veuillez trouver ci-joint le manuscrit que votre oncle tenait lors de
son séjour dans notre établissement. Il m’a demandé de vous le
remettre
en tant que seule personne qui ne l’aie jamais trahi ni jugé
dans sa famille.
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Je suis né le 3 mars 1946, si je me souviens bien, c’était dans le Jura mais où exactement ??? Ma mère m’a nommé Matthew, Deux ans plus tard, alors que j’apprenais juste à « faire dans le pot », mon frère Théo est né. Il me reste encore plein de photos de cette époque, où je me baladais, nu comme un ver dans toute la maison. Mes grosses joues rouges, mes cheveux noirs me faisaient ressembler à un petit portugais ! Je me souviens le jour de ma rentrée à l’école « La Lamartine », comme on disait. Ça remonte déjà à quelques dizaines d’années. Je pleurais, agrippé à la jupe de ma mère, la suppliant de ne pas partir. La classe avait des murs aux couleurs pastel et ils étaient parsemés de grosses lettres en forme de bonhomme. La maîtresse était une grosse dame joufflue, avec de petites lunettes très épaisses. Quelle peur j’ai eue la première fois que je l’ai aperçue ! Arrivé en primaire, je me sentais le plus fort ! tout me semblait si simple ! J’étais le roi du monde. Enfin, bon, inutile de dire que j’étais le premier de la classe dans toutes les matières étudiées, chouchouté par Madame Pimar et haï par les autres garçons. Je restais en compagnie de quelques filles. J’ai passé ainsi quatre ans. J’étais peut-être un élève modèle à l’école, mais je menais la vie dure à mes parents ! très dure ![…] Mon année de sixième fut catastrophique …Tous les soirs je finissais soit dans la poubelle, soit enfermé dans les toilettes du collège. J’étais la cible préféré des troisièmes. En revanche, en cinquième, j’ai été plus sûr de moi. Ce sentiment est apparu après qu’une fille, (pour moi, la plus belle et la plus gentille du collège) m’eut dit à quel point mes yeux étaient beaux. Le soir même je me suis précipité dans la salle de bain, puis devant la glace. Je ne voyais qu’un gamin de douze ans, grand, les cheveux en bataille, et habillé avec des vêtements trop grands dont j’héritais de mon cousin, plus âgé. Je me rapprochai de plus en plus de la glace et je me rendis compte de la couleur de mes yeux : je fus émerveillé ! Un dégradé de bleu, du bleu foncé au bleu turquoise. Dedans, comme des gouttes d’eau entouraient la pupille. A ce moment-là, je pris la décision de prendre soin de mon physique. En quatrième, je parvins donc à sortir avec pas mal de filles. La première, Kittie, celle qui m’avait fait remarquer mes « beaux yeux », était celle que j’ai la plus aimée. Ses cheveux bruns aux reflets pourpres tombaient sur ses épaules. Ses yeux étaient d’un vert indéfinissable. Elle était fine, grande, gentille, souriante… Je suis resté six mois avec elle. Malheureusement, elle a déménagé. Ces années passées au collège ont été fortes en émotions. Arrivé au lycée, un peu perdu, je fis en peu de temps la connaissance de nombreuses personnes. J’ai collectionné des relations de courte durée alors que mon frère Théo, lui, comptait déjà deux ans de bonheur avec Céline, une fille super-gentille et de bonne famille. Le premier jour où je suis allé en boite, j’ai rencontré Caroline, la femme de ma vie. Gracieuse, avec des cheveux mi-longs et châtains, ses yeux noisette me firent craquer au premier regard. En juin 1963, je passai mon bac et mes résultats me permirent d’entrer dans une grande école. Le même mois, Céline quittait mon frère, inconsolable. Pas pour longtemps puisqu’en décembre, il s’était retrouvé quelqu’un d’autre ! quel tombeur ! En 1969, je reçois mon diplôme et je rentre un mois plus tard à l’armée pour mon service militaire. Je n’ai vu que 3 fois Caroline en un an, mais je n’oublierai jamais nos retrouvailles. C’était en 1970, le 9 août. Une fois sorti de la base, j’ai aperçu Caroline, je suis tombé à genoux, la tête baissée, les main sur mon visage, le cœur battant. Caroline courait vers moi, j’entendais claquer ses talons sur le bitume. Arrivée devant moi, elle prit ma main, me fit relever, se jeta dans mes bras et m’embrassa. Arrivé chez moi, je trouvai un job dans une grande entreprise. Le 14 août 1976, Caroline et moi, nous nous mariâmes. Mes parents et mon frère sanglotaient d’émotion. Deux ans plus tard, ce furent Théo et Nadia qui convolèrent en justes noces, un très beau mariage ! Le 26 octobre 1978, je suis devenu papa d’une petite fille appelée Ambre. Elle était toute potelée et elle braillait à mort ! En 1980, je fis la découverte d’une merveilleuse crevette ! Louis, le fils de Théo et de Nadia. Que pouvais-je demander de plus ?! Ma relation avec Caroline est finie …A la suite d’une histoire incroyable (le mot juste serait terrifiante) qui m’est arrivée, elle m’a quitté en emportant Ambre avec elle … Je vais vous raconter (cher journal ou lecteur quelconque) cette histoire effroyable.
9 Février 1985 Comme tous les jours, je me lève assez difficilement, je m’étire mais doucement pour ne pas réveiller Caroline. Assis sur le rebord de mon lit, je mets mes pantoufles, à moitié trouées, puis je vais me faire du café. Quand j’ai fini de déjeuner, je vais dans la salle de bain, J’entre dans la douche, J’y reste environ cinq minutes. J’en sors. J’attrape vigoureusement une serviette, je m’essuie et commence à m’habiller. Je suis malhabile, or, là, en enfilant mon pantalon, je tombe par terre. En me relevant, je levai la tête et j’aperçus mon reflet, enfin, celui d’un autre homme qui me ressemblait physiquement, sauf qu’il était ravagé par la fatigue : les yeux rouges, les paupières tombantes et mal rasé. Je lui ressemblais, mais ce n’était pas moi. Je me touchai le visage pour vérifier, mais bizarrement, le reflet n’effectuait aucun de mes gestes ! J’avais beau lever et agiter mes bras dans tous les sens, rien, il restait impavide, le regard vide. Puis il ferma les yeux cinq à six secondes, les réouvrit. Horrifié à cette vue, je reculai brusquement et ma cognai contre une petite étagère, accrochée à la hauteur de ma tête, contre un mur derrière moi. Il avait « perdu » ses yeux. De gros trous les remplaçaient, remplis de sang. Quelques gouttes en dégoulinaient le long de ses joues … Doucement, il leva sa main droite à hauteur de ses épaules, les doigts à moitié pliés. Une sorte de scalpel apparut dans le creux de celle-ci. Il leva l’autre, approcha lentement l’objet tranchant sur la paume de sa main gauche et le planta dedans. Je sentis une horrible douleur, une de mes mains, posée sur le radiateur était en sang. Le « reflet » me fit un grand sourire tout en appuyant plus fort. Je pouvais sentir la lame s’enfoncer dans ma chair, mais pourtant celle-ci n’existait que dans le miroir ! Je me précipitai vers le lavabo afin de soulager la douleur sous de l’eau froide, mais rien à faire. Je tournai la tête et m’approchai du meuble à pharmacie, cherchai à tâtons de quoi me faire un bandage, mais rien. Je pris alors une paire de ciseaux, attrapai, d’un geste vif, mon tee-shirt posé sur le carrelage, le découpai et l’enroulai autour de ma main sanglante. Là, je m’aperçus que l’homme de la glace avait disparu. Soulagé de cette découverte, je m’assis. La tête tombant sur mon épaule, la main droite posée pour me soutenir, l’autre sur mon genou plié et le souffle haletant. Je me résolus à trouver une explication logique à toute cette histoire … Mais impossible ! Comment un homme apparaissant seulement dans mon miroir pouvait-il me blesser, avec un objet qui dans la réalité n’existait pas, visible lui aussi, seulement dans le miroir ? Je rêvais peut être, mais, pourtant … Trouvant le courage de me relever, je regardai à travers une petite lucarne donnant sur la rue St Clair d’Iroix. Rien, vide : quelques voitures étaient garées devant notre immeuble, mais il était trop tôt pour pouvoir voir des passants … Je retins mon souffle et me mis face à la glace. Là, tout l’air que j’avais gardé dans ma bouche, en sortit. A présent, je ne me voyais même plus. L’homme sans yeux n’était pas là non plus : j’étais comme invisible. Je tendis la main vers la glace, la touchai et à ce moment, il réapparut. Je reculai mon pied gauche pour ne pas tomber, mais je marchai sur un flacon en verre qui se brisa sous mon poids. L’objet était sûrement tombé au moment où je fouillais dans le meuble de la pharmacie. En tombant à terre, je me cognai la tête contre ce maudit radiateur et m’évanouis. Environ dix minutes plus tard, je me réveillai. Sous mon pied, une flaque de sang recouvrait le carrelage, Le tee-shirt qui me servait de bandage était à présent pourpre, et ma tête me faisait horriblement mal. Je pris mon pied gauche pour voir comment les bouts de verre étaient insérés dedans. Parmi les objets qui parsemaient le sol, je pris une petite pince pour pouvoir les extraire. Je me retins de hurler pour ne pas réveiller mes deux anges (Ambre et Caroline). Je sentais les morceaux bouger à l’intérieur de mon pied quand je les saisissais. Quand j’eus fini de les extraire, je décidai de me confectionner un nouveau bandage avec le reste de tissu de mon tee-shirt. Je m’accrochai au lavabo et au radiateur pour m’aider à me lever. Je pris un objet et frappai fortement dans la glace. Celle-ci se brisa en plusieurs morceaux. J’ouvris la portes de la salle de bain donnant sur le couloir. J’essayai d’ouvrir plusieurs portes, mais elles étaient toutes fermées. J’avançais difficilement, en titubant et m’aidant des poignées pour ne pas tomber. Tous les cadres que l’on avait accrochés aux murs étaient à présent noirs. J’entendis un rire satanique retentir. J’aperçus encore une fois l’homme sans yeux. Tous les cadres qui se trouvaient dans le couloir, reflétaient son visage. J’en cassai un, puis deux, puis trois. Les bords du couloir étaient recouverts de verre brisé. Fatigué, je me posai par terre, m’allongeai au milieu de l’allée, sur le ventre. Avec les quelques forces qui me restaient, je levai la tête et je vis Caroline … Ses yeux étaient exorbités, elle tenait Ambre serrée contre elle. « Tu dois partir, m’exclamai-je, cet endroit est bien trop dangereux pour une femme et une enfant »
Quelques jours après le départ de Caroline et d’ Ambre, je me résolus à mettre fin à ce cauchemar. Je ne mangeais plus, mon appartement était un vrai chantier. Je ne travaillais pas non plus. Peu de temps avant, j’avais fait appel à un médium. Cet homme m’avait conseillé d’invoquer l’être qui me tourmentait. Deux jours avant la « cérémonie », c’est-à-dire le 20 mars, j’eus, à mon grand étonnement, une visite de mon cher frère, Théo. Arrivé chez moi, il s’assit sur mon canapé, croisa les jambes, observa attentivement les lieux, puis déclara : « Cela a bien changé ici ! - Oui c’est vrai ! lui répliquai-je. Pourquoi viens-tu ici ? Dans quel but ? - Je m’inquiète un peu… Je voulais savoir comment tu te portes… Alors ? me demanda t-il. - Je vais bien … répliquai-je en me levant de mon siège. - Pourtant tu n’en as pas l’air et en plus, on ne m’a pas dit ça ! s’exclama-t-il. Il paraîtrait même que tu as perdu la tête ! Enfin, ce ne sont que des rumeurs. Tu sais, je me fais beaucoup de soucis. - Caroline t’a donc expliqué … dis-je calmement. - Oui, elle me l’a dit …Tu sais, tout le monde s’inquiète. Moi le premier ! Oublie tout ça, excuse-toi auprès de Caroline … - C’est trop tard ! m’exclamai-je, Je dois résoudre ce problème, il faut que je le fasse ! - Non ! Tu es fou ! En plus, que comptes-tu faire ? cria t-il. - Il faut que je l’invoque, puis que je le détruise … - Détruire quelqu’un qui ne vit que dans ton esprit … »
Il se leva vivement, attrapa son blouson se dirigea vers la porte et me lança que je ne pourrais rien faire, puis il claqua la porte. Je soufflais comme un bœuf en colère … Je ramassai quelques petites choses qui traînaient dans le salon … puis les jetai violemment sur l’un de mes sièges, pris un vase posé sur une petite table et le lançai par terre. Il se brisa, parsemant le sol de petits bouts de porcelaine. Le 22 mars, après avoir acheté tous les objet nécessaires à la séance, je m’installai, éparpillai tout ce dont j’avais besoin, mais je ne pus rien effectuer. Mon frère, accompagné de quatre hommes vinrent m’interrompre. Je commençai l’invocation, sans me soucier des autres. Des bougies formant un cercle m’entouraient. Une vive lumière jaillit de l’une d’elle. Ébloui, je me cachai les yeux et j’entendis une voix grave. Mais je ne comprenais aucune des paroles prononcées. Mon frère me prit le bras, me jeta vers les quatre hommes qui me saisirent. « Qu’est-ce que tu foutais ? cria Théo. - Tu as vu ! Tu as entendu ! je ne rêve pas ! hurlai-je en me débattant. - Vu quoi ? il ne s’est rien passé ! que voulais-tu que je voie ? ton monstre ? un fantôme même ? et puis quoi encore ? que vas-tu nous inventer encore ? » répliqua-t-il.
Ils me sortirent de mon appartement, sous le regard de tous mes voisins. Je me débattais, essayant de m’échapper. Sans savoir trop comment, je me retrouvai dans une petite chambre sobre. Le verrou de la porte s’ouvrit et un homme m’annonça l’heure des médicaments. Je ne comprenais plus rien. Je sortis de cette chambre, mais en me cachant les yeux, car la lumière blanche trop vive m’éblouissait. Je passai devant des hommes en fauteuil roulant. Certains bavaient, d’autre s’accrochaient aux longues blouses des médecins. On pleurait, parlait, hurlait, … Je m’aperçus d’un panneau indiquant : « Asile de St Jean Morien ». Alors, pris d’une folle rage, j’attrapai la canne d’un vieillard et m’en servis pour frapper les murs, les vitres, tous les objets rencontrés par ma canne volèrent en éclats. Des gardes m’arrêtèrent et me ramenèrent dans ma chambre où je suis maintenant consigné à vie. Que vais-je devenir ? Je suis coupé du monde extérieur. Ma seule compagnie sont des rats et celle de l’aide soignante qui vient deux fois par jour, pour me faire des piqûres de calmants. Je reste allongé toute la journée, les yeux fixés au plafond sans quitter cette « prison ». Je suis devenu, comme certains me décrivent, un légume. Au bout de trois mois, ils m’ont permis d’écrire à nouveau dans mon journal (qu’ils m’avaient confisqué). Ils exigent de lire toutes mes notes. A présent, nous sommes en 2000. Ces années d’emprisonnement ont été un enfer. L’être du miroir n’est pas revenu, mais son souvenir me hante. Je ne peux m’en défaire. L’homme sans yeux me poursuit jour et nuit. Je le vois partout. Il me pourchassera jusqu’au tombeau. Je me souviens comme si c’était hier, ils sont venus m’annoncer la catastrophe aérienne due à un attentat. L’avion s’est écrasé. A son bord, Ambre et Caroline, le Docteur X avait des larmes dans les yeux, peut-être qu’il pensait à ses propres enfants… Ils m’ont donné davantage de cachets. Mon cerveau est comme une vieille chandelle qui vacille et s’éteint. Je me sens comme un mort vivant, les visages de mes deux trésors surgissent parfois de ma mémoire, mais l’homme sans yeux réapparaît et se superpose à ces chers souvenirs. Seul, mon neveu Louis vient encore me voir. Son père est mort après une longue maladie développée peu de temps après une violente altercation entre nous où je l’avais menacé de l’étrangler car je l’estimais responsable de mon internement. Parfois me viennent des éclairs de lucidité et je me demande si tout cela n’est pas un mauvais rêve. Puis je fixe le plafond et me rendors pour de nouveaux cauchemars.
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Le spectre, récit fantastique de Fabienne G2 |
Clinique
psychiatrique des Lilas
Mr Jonathan Rabatel
à Aix-les-Bains, le 31 décembre 1999
Objet : Décès familial.
Cher monsieur Rabatel, En tant que médecin personnel de votre oncle, monsieur Théo Rabatel, j’ai le devoir et la douleur de vous faire part d’une bien triste nouvelle. Vous êtes la première personne de sa famille à l’apprendre, car, d’après votre oncle, vous êtes l’unique personne à qui il tienne vraiment aujourd’hui. Dans ses derniers propos, il disait que votre père, son frère, l’avait trahi, mais que vous, malgré votre ignorance des raisons de son internement, l’avez toujours soutenu en lui rendant régulièrement des visites. Il m’avait dit aussi qu’à sa mort, je devais vous remettre un manuscrit, une sorte de journal intime, qui raconte ce qui lui est arrivé depuis le début de sa vie. Vous aurez alors la réponse à toutes les questions que vous pouviez vous poser sur cette douloureuse histoire.
Depuis son internement, comme vous le savez, votre oncle subissait chaque jour des visites médicales pour trouver les raisons de ses troubles psychologiques. Il nous affirmait chaque jour, de plus en plus violemment, que son histoire, son horrible histoire, s’était réellement passée ! Je pense qu’après avoir lu le manuscrit, vous serez en accord avec le diagnostic que cette histoire n’est que pure invention ! Monsieur Rabatel criait dans sa cellule qu’on mettrait bientôt fin à ses jours. Les autres médecins et moi-même avons cru à des paroles en l’air. De plus, nous le croyions sincèrement en sécurité. Ces derniers jours, il était très pâle, avait un regard plein de peur dès qu’il entendait le moindre bruit. Il était devenu agressif. Ce n’était plus la même personne, il n’était plus gentil et doux, mais au contraire, violent et belliqueux ! Son histoire lui a monté à la tête. Depuis la mort de sa femme, il manquait d’affection, il avait besoin qu’on s’occupe de lui. C’est pourquoi, à mon avis, il a inventé cette histoire. Ce qu’il a oublié dans son plan, c’est que nous ne le croirions pas une seconde. Votre oncle souffrait bel et bien de troubles liés à la disparition de sa femme. En aucun cas, il n’a rencontré un fantôme. Ce qui nous a fait penser cela, c’est que, depuis qu’il était interné, ses cheveux étaient toujours mal coiffés, il était très mal habillé. En fait, il ne s’occupait plus de lui pour qu’on le fasse nous-mêmes ! Son état se détériorait de jour en jour, et à vue d’œil. C’est pourquoi, nous essayions de le raisonner, ce qui, je pense, ne lui plaisait pas.
Hier soir, alors que j’allais le chercher pour sa visite quotidienne, je l’ai trouvé mort dans sa chambre. Je ne peux encore trouver l’origine de sa mort, car l’on ne voit rien à l’autopsie, Il ne montre aucune trace de sang, ni d’étranglement. Il n’y a pas d’empreintes digitales non plus. D’après mes investigations, votre oncle aurait été tué par une autre personne, ce ne serait pas un suicide, mais personne n’est entré dans sa cellule puisque je suis le seul à en posséder les clef ! Cette personne n’a pas laissé non plus d’empreintes, mais, à côté du corps, on a trouvé une photo percée au milieu. Au dos, figurait cette inscription : « Laetitia ,Clément et moi, lors de mon anniversaire ». Apparemment, ce serait l’écriture de votre oncle. Le plus étrange dans cette histoire, c’est que la photo ne se trouvait pas ici avant. Pourquoi y a-t-il un trou au milieu de celle-ci ? Que de questions sans réponses ! C’est sans aucun doute la mort la plus mystérieuse qu’il m’ait été donné de voir durant toutes les années où j’ai exercé la psychiatrie. Alors, si votre oncle vous a donné des éléments susceptibles de nous aider dans nos recherches sur la cause de sa mort, n’hésitez surtout pas à nous contacter.
Veuillez agréer, Monsieur Rabatel, mes plus sincères condoléances.
M. GUILLAUD SAUMUR, Docteur en psychiatrie.
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Je m’appelle Théo Rabatel, je suis né le mars 1946. J’ai les yeux marron et très peu de cheveux. Mes parents, Corinne et Stéphane, travaillent dans la même usine. Ma mère est brune, avec les cheveux courts. Je la trouve très jolie ! Elle est surtout très gentille. Pendant deux ans, j’étais fils unique, gâté par mes parents. La plupart du temps, j’étais gardé chez une vieille dame dont je ne savais pas le prénom, ni le nom. Je n’étais pas seul chez cette dame, il y avait une fille de mon âge, Laetitia, qui me plaisait beaucoup. Elle avait de longs cheveux blonds qu’elle retenait par deux tresses. Elle avait de magnifiques yeux verts. En plus, on avait le même âge ! Le 14 novembre 1948, j’ai eu un petit frère : Romain. Il était tout rond. Au début, j’étais ravi à l’idée de penser à tout ce qu’on pourrait faire ensemble quand il serait un peu plus grand, les parties de football dans le jardin, les batailles d’eau et beaucoup d’autres jeux. Hélas, je remarquais avec tristesse le manque d’attention que me portaient mes parents depuis sa naissance. Ma mère s’était arrêtée de travailler pour s’occuper de nous. Mon père allait désormais travailler seul à l’usine. Laetitia, la fille du facteur, venait chez moi, car la vieille dame était bien trop âgée pour nous garder. Pour aller du salon à la cuisine, deux pièces pourtant proches, il lui fallait un délai étonnant, avec son imposante démarche ! Le premier septembre 1949 fut un grand jour : je rentrais à l’école maternelle ! La salle de classe était sombre. Il y avait trois rangées de bureaux, le plus grand, celui de l’institutrice, était posé sur l’estrade. Tous les élèves de ma classe étaient alignés en file indienne devant la porte de la classe, quand, soudain, une voix stricte nous dit d’entrer. Nous obéîmes aux ordres de l’institutrice et nous aperçûmes une dame mince, vêtue d’une robe noire avec les cheveux tirés en arrière par un chignon. Elle était droite sur l’estrade et faisait des allers-retours dans les allées aménagées au milieu de nos pupitres. Je suis resté deux ans avec cette institutrice. Elle nous a beaucoup appris, et malgré ses airs sévères, je l’admirais énormément. Il est vrai qu’au début de la première année, elle m’avait placé à côté de Laetitia. Aller en classe devenait un plaisir aussi délectable que de déguster les fraises Haribo dont j’étais pourtant terriblement friand ! A la rentrée du premier septembre 1951, je rentrai dans « la cour des grands » : j’étais en primaire. Pour cause de maladie, l’institutrice qui devait nous faire cours n’était pas venue, j’ai donc gardé la même que les années précédentes, ainsi que la même classe. J’étais, bien sûr, assis à côté de Laetitia avec qui je m’entendais toujours bien. Il y avait aussi un nouvel élève, Clément. Il avait l’air très sympathique et, à la récréation, j’allai tout de suite lui proposer de jouer au football. Cette année, mon frère entra en maternelle. Il avait l’air de très bien s’en sortir, il était très débrouillard, et, comme moi, il n’échappait pas au bonheur d’apprendre. D’ailleurs, j’avais une très bonne moyenne générale, je possédais un talent incroyable à apprendre plus vite que les autres. Après les cinq années passées en primaire, Laetitia, Clément, les autres élèves de ma classe et moi fîmes enfin notre entrée au collège. Ce bâtiment immense, totalement construit de pierre, me faisait un peu peur. J’étais très nerveux en ce jour de septembre 1956 ! Quand le collège ouvrit ses portes, une foule se précipita sur les tableau où étaient inscrits nos noms, et nos classes. A mon tour, je me précipitai vers ces fiches et j’aperçus mon nom, celui de Clément et celui de Laetitia. Nous étions dans la même classe, en 6°E ! Nos visages s’illuminèrent ! J’étais dans la classe de mon meilleur ami et de la fille que j’aimais. Comble de bonheur, je ramenais toujours à la maison, d’aussi bonnes notes, ce qui fit la joie de mes parents avec qui les liens s’étaient resserrés. Mon petit frère aussi avait un excellent bulletin scolaire et il sauta même une classe. C’était un surdoué. Quatre ans plus tard, en septembre 1960, notre trio ouvrit les portes du lycée. Laetitia attirait beaucoup les regards avec sa belle chevelure blonde qu’elle laissait détachée car le temps des tresses était terminé. Mais, cette année, à mon grand désespoir, Laetitia prit une autre option et nous fûmes séparés. Heureusement que Clément était là ! Mes notes étaient toujours bonnes, mais celles de Clément étaient très moyennes. Il n’avait qu’une idée en tête, reprendre la ferme de son père. Avec son gros gabarit, je ne le voyais pas faire de la danse classique ! Cette année, je réalisai enfin mon rêve : je sortis avec Laetitia ! J’étais tellement bien avec elle. Mes yeux brillaient chaque fois que je la voyais. Son grand sourire, ses yeux de biche… elle était magnifique et moi comblé ! Deux ans après, en juin 1963, je passai mon bac sans trop de problèmes grâce à ma bonne scolarité. Clément avait arrêté l’école et repris la ferme de son père. C’était un travailleur. Ensuite, en octobre de la même année, après avoir obtenu mon bac, je me dirigeai dans une grande école pour devenir ingénieur, je travaillai très dur, mais il le fallait. Après six années de longues études, j’obtins en juillet 1969 mon diplôme d’ingénieur. Autre bonne nouvelle : mon frère avait trouvé une copine, Marina. C’était une espagnole brune, aux yeux foncés. J’étais vraiment très heureux pour lui. Et pour fêter cela, mon frère et moi nous rendîmes à Paris au grand cinéma voir un film. Nous étions très heureux, même si nos copines nous manquaient !! En 1971 , Laetitia m’avait trouvé un emploi en tant qu’ingénieur dans une grande boîte. J’étais aux anges ! Mes difficiles études avaient payé !!! Pendant sept ans, nos vies se déroulèrent tranquillement, Laetitia et moi étions fiancés ainsi que Romain et Marina. C’est d’ailleurs le 6 juillet 1978 qu’ils se sont mariés. Une grande cérémonie fut organisée en leur honneur. Ce jour-là, la mariée avait lancé son bouquet. C’était ma fiancée qui l’avait attrapé. Heureux présage : nous nous mariâmes trois mois plus tard ! Le 22 janvier 1980, Jonathan, le fils de Romain et de Marina et mon filleul est né. Il était brun, joufflu et très mignon. Mes parents étaient devenus grands-parents. Dès sa naissance, j’avais l’impression qu’on allait très bien s’entendre. Nous étions tous très heureux !
Le malheur commença quelques jours plus tard. Je me trouvais à une fête entre amis , bien arrosée. J’étais avec Clément. Laetitia, ma femme, avait préféré rester à la maison. Une très grande maison, ancienne qui était inoccupée depuis longtemps. De la route, on pouvait voir le toit noir de la demeure. Le reste était caché par de très grands arbres. Cette maison faisait froid dans le dos ! Elle nous avait été vendue à un très bon prix. La façade était lugubre, ternie par le temps. A l’intérieur, il y avait de grandes pièces avec d’immenses plafonds qui donnaient une impression d’infini. L’air dans la maison était humide, malgré le chauffage, il faisait froid. Peut être était–ce à cause des fenêtres du sous-sol, qui laissaient passer l’air la nuit par les vitres brisées en faisant un bruit à vous glacer le sang ! Nous ne nous aventurions presque jamais au sous-sol, sauf pour avoir accès à la cave. Pour revenir à la soirée ; j’avais proposé à Clément de le ramener, il n’était pas en état de conduire. Je ne sais pas si j’aurais dû…. Sur la route du retour, pas très loin du cimetière, alors que j’étais fasciné par les étoiles, je ne vis pas le cerf qui traversait la route. J’essayai de freiner, mais en vain. La voiture fit deux tonneaux avant de tomber dans un ravin. Clément y laissa la vie et moi, je n’eus même pas une égratignure. « Mon étoile m’a sauvé ! » C’est ce que j’ai crié en sortant de ma voiture, qui n’était plus qu’un tas de ferraille !!! Le surlendemain eurent lieu les funérailles de mon meilleur ami. Tout le village était en deuil. Le neuf février 1985, après les obsèques de Clément, Laetitia et moi rentrâmes à la maison. Le soir, nous ne mangeâmes même pas, nous n’avions pas faim. Nous avions perdu l’appétit… et un ami, par ma faute. J’avais l’impression que tout le monde me détestait. Nous allâmes nous coucher. Laetitia avait l’air de dormir, mais, moi, je n’y parvenais pas ! Plus tard, alors que j’avais réussi à fermer l’œil, je fus réveillé en sursaut par le bruit du vent qui passait par les fenêtres du sous-sol. Il est vrai que j’avais le sommeil léger ! J’étais tout en sueur, lorsque j’entendis la foudre qui s’abattait pas très loin de chez moi. Mon cœur battait la chamade ! Je ne savais pas ce qui avait été touché par la foudre. Je décidai alors d’aller voir . Je m’habillai chaudement et pris ma voiture pour me rendre à l’endroit en question. J’atterris alors au cimetière…. J’ouvris le portail, avançai à pas lents. J’étais à la fois anxieux et curieux. Soudain, j’aperçus la tombe de Clément, fendue par une sorte de lumière bleuâtre qui s’en échappait. Je poussai un petit cri de stupeur. Sans même m’en rendre compte, j’étais là, où le corps de Clément reposait. Le vent fouettait mon visage. Je regardai autour de moi, je ne voyais presque rien, ma vue était troublée par la brume. Alors que je me concentrais sur la lumière bleue, j’entendis des bruits. Ces bruits étaient identifiables. On aurait dit des rires, des grincements de dents ! Une voix semblait me dire « Vengeance, Vengeance ! »et puis de nouveau, ces rires effrayants. J’étais horrifié. Je me retournai brusquement et vis, à ma grande stupéfaction, une silhouette. Elle était vêtue d’une grande cape, avec une capuche qui recouvrait sa tête. On pouvait juste apercevoir ses yeux noirs remplis de haine. Cette chose était impressionnante ! Il me semblait avoir déjà vu cette silhouette quelque part. Elle me paraissait si étrange, si effrayante mais si familière à la fois ! J’étais couvert de sueurs froides. Je courus jusqu’à la voiture, la respiration bloquée ! Arrivé chez moi, j’allai prendre une douche quand par la fenêtre de la salle de bain , je revis cette ombre. Je dis cette ombre, car elle passait à travers les arbres. On aurait dit qu’elle me suivait. J’étais épouvanté, cette chose me faisait penser à un fantôme ! J’essayais de me reprendre, mais, les yeux fixés sur cette ombre, je ne pus ni parler, ni bouger, ni rien faire. Cette chose me paralysait ! Une fois ce fantôme disparu de mon champ de vision, j’allai me réfugier dans les bras de Morphée. Le réveil sonnait, Laetitia était déjà réveillée. Un terrible mal de crâne m’obligea à rester cloué au lit. Mais j’entendis un hurlement qui me fit froid dans le dos. C’était Laetitia. Je pris ma robe de chambre et descendis à vive allure voir ce qui affolait ma femme. Alors qu’elle s’apprêtait à sortir acheter le pain, elle vit sur le seuil de la porte son chat, étranglé. A ce moment-là, les ricanements que j’avais entendus la veille hantèrent à nouveau ma mémoire. Je me demandais ce qui m’arrivait. Était-ce un rêve ? Culpabilisais-je de la mort de mon ami ? Je préférai arrêter mon petit interrogatoire, et penser que l’aventure vécue au cimetière n’était qu’un rêve. J’allai alors réconforter Laetitia qui était en larmes. Je lui conseillai plutôt d’aller prendre un café pendant que j’irais enlever le cadavre de son chat. Depuis cette nuit là, la pluie tomba et le vent souffla fort sans répit. C’est pour cela que je décidai d’aller réparer les fenêtres du sous-sol. Laetitia m’avait rejoint pour m’aider. Par précaution, j’avais pris un gros poignard, on n’est jamais trop sûr ! Je l’avais posé sur une vieille table. Le sous-sol comportait la cave, la pièce la plus proche de l’entrée et au fond, une immense pièce, pleine de vieux meubles et de poussière ! Il y faisait très froid. On aurait dit que personne n’y avait mis les pieds depuis des millénaires ! Je demandai à Laetitia d’aller nettoyer la cave, pendant que je réparerais les fenêtres. Dans un coin de la pièce, un meuble plus ancien que les autres attira mon attention. Il était très sale, il avait de nombreux petits tiroirs et deux grandes portes sur lesquelles se trouvait un message ; il avait été écrit récemment car l’encre n’était pas encore sèche. Sur ce bout de papier était inscrit : « JE SUIS PARTOUT , JE T’Ai À L’ŒIL, SI TU VEUX QUE RIEN NE T’ARRIVE , NI À TOI, NI À QUELQU’UN DE TON ENTOURAGE, N’OUVRE PAS CE MEUBLE ….. » A première vue, ce message me fit frissonner, mais je me dis que cela ne pouvait être que ma femme. Elle savait que j’étais curieux, et elle voulait m’annoncer une nouvelle par l’intermédiaire de cet ancien meuble. J’allais l’ouvrir, mais je voulus prendre mon poignard. A ma grande surprise, il avait disparu. Je l’ai cherché pendant 10 minutes sans succès. C’est alors que je me suis dit que si c’était Laetitia qui m’avait fait une farce, je ne craignais absolument rien. Je me dirigeai alors vers la porte, pris mon courage à deux mains et l’ouvris. J’entendis cette voix qui me disait : « JE T’AVAIS PRÉVENU … » Dans l’armoire se trouvait une photo de Clément, de Laetitia et de moi quand nous étions adolescents. Elle était pleine de sang, et un poignard était planté au milieu. Surpris, je m’empressai de la faire voir à ma femme, quand, arrivé dans la cave, je vis son corps qui gisait à côté des conserves, mon poignard dans le cœur. Je hurlai son prénom pour qu’elle m’entende, mais rien : ses yeux restaient écarquillés, comme si elle avait vu une chose horrible. A côté de Laetitia, un autre message, écrit de fraîche date, disait : « REGARDE BIEN CETTE PHOTO ! DEUX PERSONNES SONT MORTES . IL N’EN RESTE PLUS QU’UNE . » Je montai en vitesse dans ma chambre en sanglotant. Je me demandais qui en voulait à notre trio. Le lendemain, ce furent les funérailles de ma femme. Je fus obligé de mentir sur les causes de sa mort. Je prétendis qu’elle était morte, renversée par une voiture. J’étais maintenant veuf. Je ne savais plus où j’en étais. Des choses étranges se produisaient dans cette maison. Des objets disparaissaient, j’entendais ce rire qui me poursuivait à longueur de temps. Je vivais dans la peur, le doute et la tristesse. Je ne pouvais pas dire que j’étais seul, car ce fantôme me suivait partout ! J’étais d’ailleurs persuadé que c’était lui qui avait tué ma femme. Mais qui pouvait m’en vouloir ? Qui était ce fantôme ? Ma première nuit sans Laetitia, j’avais sa photo devant moi et son parfum sur la table de nuit. J’étais effondré. Elle me manquait terriblement. Il y avait comme un vide dans ma vie. Je commençai à dire ces paroles à voix haute « J’ai perdu ma femme, mon meilleur ami. Sans eux je ne suis rien… » . C’est alors que le fantôme traversa le mur de la salle de bain pour venir dans ma chambre, mon teint devint livide, j’étais horrifié !! Il me dit : « TU T’ES MOQUÉ DE MOI , TU M’AS TUÉ . PAR TA FAUTE JE NE SUIS PLUS DE CE MONDE , JE ME SUIS VENGÉ SUR TA FEMME, MAIS C’EST TA MORT QUE JE VEUX . CE N’EST QUE LE DÉBUT DE MA VENGEANCE. » Et il ôta sa capuche. J’étais stupéfait, sans réaction ! Le fantôme, c’était Clément. C’était lui que m’avait fait subir tous ces traumatismes. « JE REVIENDRAI , NE M’OUBLIE PAS. » m’avait-il dit en disparaissant. Depuis, j’entends des rires, des sons de musique, des images sordides. Quand je me regarde dans un miroir, je vois Clément. Quand j’allume la télé, je revis le moment où j’ai tué mon meilleur ami et quand je lis un livre, c’est la photo de Laetitia morte dans la cave que je vois ! Le fantôme de Clément me hante. Quand je pars me recueillir sur la tombe de ma femme qui est à côté de celle de Clément, j’entends cette voix, cette voix grave de Clément qui me dit « C’EST TON TOUR D’ALLER EN ENFER , TU M’AS TUÉ , JE VAIS TE TUER. » Terrifié par ces messages, je m’écrie, désespéré : « CE MALHEUR NE SE TERMINERA-T-IL JAMAIS ? » Pour une fois, je crois que j’aurais dû écouter mon frère ! Il avait raison, les gendarmes m’ont pris pour un malade mental. Je me souviens encore. Je me débattais, je ne voulais pas aller « chez les fous » ! Je n’en étais pas un, contrairement à ce qu’on pouvait penser ! Je criais, clamais mon innocence, mais rien à faire ! En me battant avec un ambulancier, je pris son poing en pleine figure et restai à terre, sonné. A mon réveil, j’étais dans une cellule, mon frère et un médecin à mes côtés. A l’intérieur de cette cellule, il y avait un lit, une table avec une chaise, un lavabo avec un miroir. C’était sombre et j’étais à présent seul. Soudain, je me souviens d’avoir entendu la voix de Clément, ou plutôt du fantôme de Clément qui me disait qu’il m’avait juré de ne jamais me laisser tranquille ! Effectivement, cette voix ne me laissait jamais tranquille. Pendant toutes ces années d’internement, le jour comme la nuit il me faisait peur, me harcelait et me disait que ce qui m’arrivait était bien fait pour moi. C’était sa vengeance. Aujourd’hui, je me sens extrêmement coupable de tout ce qui est arrivé ! Si j’avais écouté Laetitia qui ne voulait pas que j’aille à cette soirée, je n’aurais jamais eu cet accident. Je n’en fais qu’à ma tête, ça m’a toujours porté préjudice ! Même encore aujourd’hui. Je vis en enfer, L’existence ici est très dure ! Je dois obéir à des règles très strictes, aux côtés de vrais fous ! C’est abominable ! Je crois qu’en restant ici, je vais vraiment devenir hystérique… Chaque jour, pendant deux heures, je parle, les menottes aux poignets, avec un psychiatre. A chaque séance, depuis des années, je raconte toujours la même histoire. Le psychiatre doit s’en arracher les cheveux ! Le reste du temps, je demeure dans ma cellule, ou je fais, pendant une heure, du sport. De longues journées monotones se suivent et se ressemblent, et je m’ennuie. Ma vie n’a plus aucun sens, je ne sais pas combien de temps j’arriverai à vivre ici ! Je croise parfois, dans un couloir, des créatures qui n’ont même plus l’apparence humaine : elles vocifèrent, se jettent sur les murs, bavent en marchant à petits pas, abruties de chagrin et de médicaments. C’est une trop lourde épreuve que je n’ai pas méritée ! Ma vie avait si bien commencé, pourquoi tout cela m’arrive-t-il à moi ? Je suis épouvanté, je me demande ce que va devenir le reste de ma vie …
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