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HISTOIRE
DE MA VIE, de Marine Boursin Je
m’appelle Jean CHEVALIN, je suis né le 3 mars 1946, bien sûr la
guerre avait cessé depuis plusieurs mois, mais les dégâts (matériels
comme moraux) n’avaient point disparu. La ferme de mes parents avait
été saccagée, le bétail volé et mes parents n’avaient plus le
moindre sou. Ma mère m’a mis au monde, alors qu’elle était encore
très jeune, dans un vieux lit en fer. Un jeune homme juif que mes
grands-parents avaient nourri, vêtu, hébergé et caché des Nazis
pendant la guerre, avait dormi dans ce lit. Pour
ma naissance, ma mère avait écrit à mon oncle, mais elle ne reçut
jamais de réponse car ce pauvre homme avait disparu dans la débâcle. Le
14 novembre 1948, ma mère donnait naissance à un merveilleux petit
bout de chou nommé Henri (comme mon père). Cette année là fut aussi
marquée par la « Déclaration Universelle des Droits de l’Homme ». Je
suis allé à l’école maternelle pour la première fois en septembre
1949. Mon petit frère commençait à peine à marcher. J’admirais ma
mère en train de préparer mon goûter, repasser mes habits à l’aide
d’un vieux fer métallique, faire bouillir de l’eau sur la
cuisinière à bois afin de laver mon petit frère dans une grande
bassine. Arrivé à l’entrée de ce grand bâtiment en pisé, où
était inscrit en lettre d’imprimerie « école maternelle pour
garçons », j’observais les yeux bleus de celle-ci qui
brillaient et les larmes d’émotion qui coulaient sous ses longs
cheveux blonds : j’étais un petit homme et elle me confia pour
la première fois à l’Education Nationale. Deux
ans s’écoulèrent. Maintenant, je me rendais seul à l’école
primaire à bicyclette . Pour ce faire, je longeais une petite boutique
bourgeoise, où se trouvaient d’énormes téléviseurs. Je m’arrêtais
(chaque soir de ce mois) pour y visionner le Tour de France automobile
tout en me régalant de caramels à 1 franc. Ma mère prenait plaisir à
nous acheter ces petites sucreries sur le chemin de l’école. Je me
précipitais chez moi pour aider mon père à la ferme. Une fois le
travail accompli, nous allions souper. Habituellement, nous trouvions
sur la table un grand bol de potage accompagné d’un morceau de pain.
Souvent mon frère venait me taquiner lorsque je faisais mes devoirs, ce
qui provoquait d’interminables disputes. Quand je suis rentré au collège (1956), nos relations entre frères sont devenues encore plus difficiles. Je
travaillais de plus en plus, j’étais pris d’une incroyable passion
pour les 2 CV (et particulièrement pour le modèle « 2CV AZL »,
beaucoup plus luxueux que le modèle « AZ », avec sa longue
capote qui descendait jusqu’au pare-chocs arrière). Il me semble que
c’est à cette époque que j’ai commencé à m’intéresser aux
filles. Mon frère devait penser qu’il représentait peu pour moi ce
qui le rendait extrêmement jaloux. Ma mère, elle, a toujours fait
preuve d’une grande patience. Nous étions très complices. Je l’aimais
comme un fils aime sa mère, mais aussi comme un adolescent aime sa
meilleure amie et, à l’époque, c’était rare ! Quatre
années passèrent et je me retrouvai au lycée. J’étudiais l’allemand
avec beaucoup d’intérêt et prenait mon avenir en main malgré les
tumultes en Algérie. En effet la guerre qui opposait français et
algériens avait fait de nombreuses victimes. A cette époque, il
existait 130 quotidiens capables de relater ces faits. J’ai
passé mon bac avec succès en juin 1963. J’étais excité et très
stressé jusqu'à ce que j’arrive face à ce grand tableau où
étaient affichés les résultats. Mon nom était inscrit suivi de la
mention « admis ». C’est avec peine que je dus quitter mes
parents pour aller dans une grande école. Celle-ci se trouvait à plus
de deux heures de notre ferme. Avant de partir, je gravai mon nom sur la
guérite des toilettes située à l’extérieur, dans le jardin. Ce
n’est qu’en juillet 1969 que j’ai obtenu mon diplôme d’ingénieur
avec félicitations. Mes parents pleuraient, mon frère chantait,
criait, sautait. C’est grâce à ce diplôme que mon père et moi
avons resserré nos liens. L’affection devint plus importante que l’autorité.
Cette année là, notre cher président de la république française, le
Général De Gaulle, avait démissionné de ses fonctions et s’était
fait remplacer par Monsieur
Pompidou. J’ai
fait mon service militaire deux mois plus tard. J’ai appris à vivre
en collectivité, à manier des armes, à me défendre en cas de guerre.
C’était impressionnant. J’avais toujours habité à la campagne, au
sommet d’une colline. Avant cela, jamais je ne sortais avec mes amis.
Ceci m’a permis d’associer travail et plaisir. Très
vite, je trouvai un emploi pour la première fois. Mon métier
consistait à faire des recherches sur les vibrations, l’acoustique,
ainsi que sur la compréhension du comportement des matériaux en
mécanique, j’étais devenu ingénieur ! C’est avec mes
premiers salaires que j’ai pu m’offrir l’objet de mes
rêves : la 2 CV AZL ! Sept
longues années s’étaient écoulées. Mon frère avait une trentaine
d’années et allait enfin se marier. Nous préparions la cérémonie
avec une petite pensée pour mon idole Claude François décédé en
mai. Cet événement fut l’occasion de retrouver ma vieille Tante
Germaine, celle qui était si laide avec son nez crochu, son chignon et
ses lunettes sombres. Celle qui était toujours vêtue de noir et qui
portait un long châle gris. Elle roulait dans une très belle
"DS" (noire évidemment). Elle était effrayante et me donnait
froid dans le dos. Germaine représentait tout le contraire de Claudine,
ma belle-sœur, qui était si belle dans sa ravissante robe de mariée,
blanche avec des dentelles et une longue traîne portée par deux
merveilleux enfants. Mon frère, Henri, était lui aussi très élégant
dans sa chemise blanche au col pointu. Moi, je cherchais en vain à
fonder une famille, à avoir une vie stable avec une femme et des
enfants. Mais j’étais débordé de travail. Lui,
il avait réussi, puisqu’en moins de deux ans je devenais "l’oncle
Jean". Claudine et Henri avaient donné naissance à une
merveilleuse petite fille qu’ils nommèrent Sophie. Ce fut un bonheur
très spontané car, à l’époque, aucune échographie ne permettait
aux parents de connaître le sexe de leur petit bout de
chou avant la naissance. Lorsque je la vis pour la première fois,
elle flottait dans un petit bonnet qui cachait ses yeux légèrement
entre ouvert, un gilet en laine qui semblait la gratter et de minuscules
chaussons de couleur pastel. On la voyait à peine dans son haut et
spacieux landau rose aux grosses roues et aux suspensions en cuir. Il me
semble qu'elle adorait être bercée sur des chansons de Joe Dassin qui
nous quitta quelques mois plus tard. Enfin, ce bonheur dura jusqu’au 9
février 1985, où tout bascula… C’est drôle, mais la joie que
ressentait mon frère me rendait tellement jaloux ! Il était tout
de même plein de bonne volonté. J’acceptai donc avec enthousiasme sa
proposition d’aller au cinéma pour assister à la première de la
comédie policière "RECHERCHE SUZAN DESESPEREMENT". Après le
film, je rentrai chez moi, épuisé et très fier de ma soirée. Mais le
lendemain, à mon réveil, tout était différent. Durant la nuit, je n’avais
fait que penser à cette superbe jeune femme interprétée par Madonna.
Au pied de mon lit se trouvait une ravissante nuisette en soie. Elle
était identique à celle que portait Suzan dans le film. Intrigué par
l’arrivée de cet objet dans ma chambre, je me dirigeai vers la
cuisine pour prendre mon petit déjeuner habituel. Là, je restai figé,
sidéré par la beauté de la femme qui venait de m’embrasser. Les
yeux écarquillés et le cœur battant, je la regardai préparer mon
déjeuner. Elle semblait connaître chacune de mes petites habitudes. Je
m’avançai vers elle, posai ma main sur son épaule et lui dis : « SUZAN ? » Elle se retourna et m’embrassa à nouveau. Nous devînmes inséparables. Elle était présente partout et même dans mon travail. Elle me conseillait pour mes moindres faits et gestes. Elle me poussait à rejeter mon entourage et à commettre de nombreuses fautes professionnelles. Quelques jours plus tard, je me retrouvai sans emploi. Les membres de ma famille en étaient même venus à penser que j’avais sombré dans le monde des stupéfiants. Ils n’avaient pas totalement tort, j’en étais devenu totalement dépendant et ma drogue s’appelait Suzan. C’était la femme de mes rêves… Je passais mon temps avec elle. Je l’aimais profondément. Elle seule pouvait me comprendre. Elle représentait la femme que j’avais toujours attendue : elle était belle, attendrissante, elle me connaissait mieux que personne… Elle
savait bien que j’en avais assez de mener une petite vie tranquille
tout en restant à la maison. Alors un jour, elle me proposa de partir
à l’aventure, de tout laisser derrière moi. Je ne pouvais plus rien
perdre puisque je n’avais plus d’emploi. Quitter la France, ne rien
prévoir à l’avance, vivre au jour le jour, tout ça était tellement
excitant ! Mais il me fallait en parler à mon frère. J’appréhendais
vraiment ce moment car je ne pouvais imaginer sa réaction. Après tout,
je ne lui avais plus donné aucune nouvelle depuis l’étrange
apparition de Suzan dans ma vie. Il avait pourtant essayé de me
contacter à de nombreuses reprises. Tout ça était tellement nouveau
pour moi, que je n’éprouvais aucune envie de voir, ou même d’entendre,
ma ravissante nièce et ses parents. Et puis, je me sentais bien avec
Suzan ! Mais voilà, c’était le grand jour, il fallait que je
lui parle, d’homme à homme. C’était mon frère et son avis
comptait beaucoup pour moi. J’espérais qu’il réagisse comme je l’avais
fait lorsqu’il m’avait présenté sa femme, Claudine. Je commençai
par lui évoquer : « Souviens-toi de ce soir où nous sommes
allés au cinéma. Tu m’as déposé chez moi aux alentours de 23
heures. » Il
me regarda effrayé et bafouilla : « Oui
je me souviens. Pourquoi ? -Le
lendemain matin, au réveil… » Je
lui racontai toute l’histoire. Il baissa la tête. Je m’avançais
vers lui, mais il reculait. C’est terrible, mais je crois qu’il
avait honte. Il était tellement pâle. Il me fixa et rétorqua : « Suzan,
c’est l’héroïne d’un film ! Ce n’est en aucun cas ta
petite amie. C’est le fruit de l’imagination d’un homme qui a
créé une talentueuse comédie policière. Mais ça reste du
CINEMA ! » Il
se leva du fauteuil il était assis et claqua la porte de mon sombre
appartement. En moins de trente secondes, il réapparut pour m’expliquer
qu’il était imprudent de s’enfuir comme un voleur. Il pensait que
le fait d’être tombé amoureux du reflet de Madonna venait de la
solitude que j’éprouvais dans le passé. Il essaya donc, à plusieurs
reprises, de me trouver une jolie jeune femme qui aurait pu lui servir
de "belle-sœur". Mais il n’y avait rien à faire, j’aimais
Suzan ! il devait l’admettre. J’acceptai cependant de me rendre
chez notre médecin de famille. Celui-ci diagnostiqua une grosse fatigue
et me mit au repos avec des fortifiants. Ce traitement n’ayant donné
aucun effet, on m’amena à un autre médecin qui eut une longue
conversation avec mon frère. Notre retour chez moi fut très
étrange : mon frère restait muet, ce qui rendait la situation
encore plus difficile. Comment allais-je lui expliquer que j’avais
accepté la proposition de Suzan ? J’étais
enfin revenu dans ma triste demeure et je devais encore faire mes
valises. Je n’en pouvais plus et m’endormis immédiatement. Je
dormais profondément lorsque je fus réveillé par une multitude de
sirènes. Je me précipitai vers la fenêtre et aperçus de nombreuses
ambulances sur lesquelles on pouvait lire : AMBULANCES PSYCHIATRIQUESJ’allais me recoucher, lorsqu’on ouvrit la porte de mon appartement violemment. Je me fis saisir par quatre grands hommes. J’étais affolé. Suzan était là devant moi, immobile. Elle souriait. Pourquoi ne faisait-elle rien pour les empêcher de m’embarquer ? * Des
heures s’étaient écoulées et je me réveillai en sueur. J’étais
terrifié. J’avais de vagues souvenirs de ce qui venait de se
dérouler. J’imaginais l’énorme dose de somnifères que l’on
avait dû m’injecter pour permettre un tel sommeil. Cependant, je n’arrivais
toujours pas à comprendre la réaction de Suzan à l’arrivée des
ambulanciers. Pourquoi avait-elle choisi de les laisser m’emmener ?
Ne voulait-elle pas que l’on s’exile de tous problèmes ? Notre
projet avait définitivement échoué. Elle n’avait rien fait pour
empêcher cet échec. Avait-elle vraiment envie de partir ? Elle
avait pourtant tellement insisté. Tout était confus. Mais le plus
important pour l’instant était de découvrir qui m’avait fait
enfermer dans cette lugubre pièce. Tout
à coup, on frappa à ma porte. C’était une infirmière, charmante
(enfin, pas autant que Suzan). Elle me fit passer mes premiers tests
psychologiques. Parmi eux, le test de la tache d’encre et celui de
photographies représentant diverses scènes qu’il me fallait
commenter. De ce qu’avaient pu révéler ces tests, surtout de
personnalité, jamais je ne le sus. Mon frère fut rapidement convoqué
par le directeur de la clinique qui lui commenta chacun de mes
résultats. J’appris par la suite que celui-ci avait lui-même rempli
les formulaires pour mon admission à l’hôpital. On me donna le
traitement courant à l’époque : Tofranil
le matin pour me stimuler et m’euphoriser Largactil
le
soir, pour me décontracter et parfois m’endormir. Le Docteur Black,
mon psychiatre, m’avait alors expliqué que la découverte de ces
traitements était toute récente. On ne savait pas du tout de quelle
façon, par quel mécanisme, cela agissait sur le cerveau. Il paraît
même que l’on avait découvert leurs effets sur le psychisme par pur
hasard. On
utilisait le Tofranil dans le traitement de la Tuberculose et on
s’était aperçu que les patients devenaient euphoriques, joyeux, d’où
l’idée de son application en psychiatrie. Plus
tard on me changea de chambre. Au début de mon internement, j’étais
dans une pièce avec deux lits (je suppose qu’il y en avait un pour
Suzan et l’autre pour moi). Mais rapidement, je me retrouvai dans une
cellule à quatre lits, qui, contrairement à la première, donnait sur
un couloir central et était fermée à clefs sur l’extérieur.
Nous pouvions circuler de chambre en chambre, mais en aucun cas
sortir de l’étage. Docteur Black m’avait expliqué que ce soudain
changement était dû au sentiment de solitude que je devais éprouver.
Je lui affirmai pourtant que Suzan était là, mais il refusait
catégoriquement de l’admettre. Ça ne pouvait plus durer. Il fallait
que je trouve un moyen pour que l’on arrête de me considérer comme
"fou". Je devais prouver l’existence de Suzan. L’hôpital
ne possédait aucun appareil me permettant de la prendre en
photographie. Je décidai alors de rechercher son nom dans les fichiers
d’administration. Elle dormait dans ma chambre. Par conséquent, elle
était inscrite à la clinique. Il ne me restait plus qu’à trouver un
moyen de descendre au sous-sol pour trier les archives. Le médecin est
arrivé pour faire l’habituelle visite de Max, un de mes voisin de
chambre. J’en profitai pour filer discrètement à l’anglaise.
Arrivé à l’endroit prévu, j’étais perdu. Il faisait noir, j’avais
froid. Seule une lueur s’échappant d’un volet légèrement
entrouvert éclairait la cave. J’ai cherché pendant des heures sans
trouver une seule trace de mon grand amour. Désespéré et épuisé, je
remontai dans ma chambre en repensant à la terrible défaite que venait
de subir mon cœur. * Aujourd’hui,
rien n’a changé, je suis toujours interné dans cette macabre cellule
capitonnée. Docteur Black m’autorise à voir ma famille.
Malheureusement, mon frère refuse de me rendre visite. Je n’ai donc
plus revu ma petite nièce qui a dû bien grandir. Mais le plus
important c’est que je n’ai jamais pu prouver l’existence de Suzan.
Tout ça est tellement étrange... Est
il vrai que j’aime plus que tout l’héroïne d’un film ? |
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Clinique
psychiatrique des Lilas 3
Avenue Richard Louviers 74200
AIX-LES-BAINS
Melle Sophie Chevalin
50 Rue de l’avenir
38530 GRENOBLE
A Aix-Les-Bains, le 12 mai 2004 OBJET : avis de décès Melle
Chevalin, Nous
avons le regret de vous faire part du tragique décès de Jean Chevalin,
votre oncle. Comme
vous le savez, il y a maintenant des années, votre famille a eu
l'obligeance de nous le confier dans l’espoir d’une probable
guérison.
Hélas,
nous n’avons rien pu faire contre une telle "passion
mythomaniaque". Il s’obstinait fermement à croire en cette
"Suzan". Le malheureux n’était plus en très grande forme.
Il était devenu extrêmement pâle et fatigué, ne pouvait plus se
déplacer et ne mangeait plus (il était entièrement alimenté par
perfusion depuis une trentaine de jours). Il
ne se maîtrisait plus et commençait à perdre certains de ses sens. C’est
alors qu’il a fait le choix de mettre un terme à sa vie. Cette
dernière, je le reconnais, n’a pas toujours été des plus gaies.
Néanmoins, nous restons extrêmement peinés par sa disparition.
Cependant, nous avons la fierté de joindre à ce document, un manuscrit
qui nous a tous considérablement émus. Il y raconte les moindres
moments de son existence (par conséquent votre naissance), qui ont fait
l’objet de notations minutieuses de sa part. Sachez
que vous représentiez,
pour lui, son unique famille. Si
vous souhaitiez connaître d’avantage de détails sur la fin de sa
vie, nous restons à votre entière disposition. Dans l’attente,
veuillez agréer, Mademoiselle, nos plus sincères condoléances.
M. Durant, directeur.
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Nouvelle fantastique, de Cindy Cochet Je
vais vous raconter ma vie dans cette autobiographie. Je me présente, je
suis monsieur José Chose, je vis dans une petite maison entourée
d’arbres touchant le ciel, de montagnes blanches, et d’animaux
magiques. Je vis seul, car comme disait ma mère, j’ai une tête de
chien qui depuis quelque temps s’est défraîchie. Mon frère René
disait de moi que j’avais un caractère épouvantable et que j’étais
laid avec mes dents tout écartées, il faut dire que lui, ce n’était
pas mieux. Je
suis né le 3 mars 1946, chez moi, ma mère a souffert le martyr et la
souffrance d’un père absent. Heureusement que la voisine qui était
sage-femme était là. Je me rappelle vaguement cette femme : elle
avait toujours un chignon broussailleux, des lunettes qui lui donnaient
un regard d’enfer. Ma mère m’a raconté un jour que, lorsque je
suis né, je lui ai vomi dessus. Deux
ans plus tard, mon frère René est né, lui il a eu le temps d’aller
dans une clinique, il y a toujours eu du favoritisme à son égard. Mon
père était toujours absent, on aurait dit qu’il redoutait ces
moments-là. Moi j’étais bien là, et lorsque je suis rentré dans la
chambre, je m’en souviens encore car j’ai eu un choc. Il ressemblait
à une saucisse sans cheveux. Les
années passèrent, et le premier jour d’école était arrivé, ma mère
rayonnait, les yeux remplis de larmes. Son regard d’amour, ses cheveux
roux magnifiques, lui donnaient l’air d’une maman magique. Les années
de maternelle ont été les meilleures années de ma vie, je me rappelle
Emilie Jolie, c’était la plus belle des filles, nantie de cheveux
blonds, d’yeux bleus et d’un petit nez de biche. Elle était
merveilleuse ! Puis,
passage avec un an d’avance en primaire. Ces années-là se sont passées
avec cette tyrannique institutrice madame Jengueuletout, je ne sais même
plus comment elle était, tellement elle était méchante. Emilie
m’avait en plus, quitté pour le gros dur de la classe, quelle dégoûtation ! Enfin
je passai dans un lycée de Paris. Depuis la primaire, j’effectuais de
petits travaux pour me payer cette école. La séparation avec ma
famille et surtout avec mon frère fut difficile. Lorsque je suis arrivé
devant cette grande bâtisse, elle me parut sinistre, toute grise avec
son immense porte de bois, mais l’intérieur était plutôt joyeux.
Dans la chambre où je devais dormir, il y avait quelqu’un d’autre,
Jacques Leroy, il était grand, blond et plaisait à toutes les filles.
Quand je lui expliquai un jour que j’étais allé dans une école
mixte, il en était tout retourné. Je me rappelle, le 7 février 1961,
au club dessin où j’allais tous les lundis midi, il y avait Céline
Boinette, la plus belle des filles du lycée, il y avait déjà
longtemps que je voulais lui demander d’être ma petite amie. Je pris
mon courage à deux mains et allai lui demander. A ma grande surprise,
elle me répondit tout de suite par l’affirmative. Enfin
j’allais passer mon Bac pour me consacrer à mon école d’ingénieur.
Céline était toujours avec moi et toujours aussi jolie avec ses
cheveux couleur charbon. Le jour même, j’étais prêt pour répondre
à toutes les questions que l‘on me poserait. Lorsque je passai les épreuves,
je n’arrêtais pas de penser à ma future école et, au moment des résultats,
lorsque j’entendis « José reçu, mention : très bien »
tout faillit s’effondrer sur moi, j’étais si heureux que je
demandai à Céline sa main, elle partit en courant et je ne l’ai plus
revue. Enfin
je fis mes années d’études, dans mon école d’ingénieur, toujours
à Paris. La fin de ma première année fut difficile. J’avais manqué
beaucoup de cours, à cause de la révolte de mai 68. Plusieurs établissements
dont le mien, fermèrent
leurs portes aux élèves. Plus de quarante–neuf-mille étudiant se
trouvèrent dans les rues pour manifester. Ils dressaient des barricades
contre les CRS. Moi je n’y étais pas, j’avais rejoint un petit
groupe d’étudiants non politisés pour réviser les cours. La deuxième
année se passa beaucoup mieux, j’ai obtenu mon diplôme avec beaucoup
de facilité, contrairement aux autres. Avant
de chercher un emploi, je devais faire mon service militaire, ça a été
la plus dure année de ma vie. Je me levais tous les matins à cinq
heures, ensuite on exécutait une marche dans la montagne de cent kilomètres,
suivie d’une pause de trente minutes pour manger de la nourriture et,
tout l’après midi jusqu’à onze heures du soir, nous faisions
divers petits travaux. Et ce, pendant toute une année. Nous n’avions
jamais de vacances. Mon
service militaire terminé, je me mis ensuite à la recherche d’un
emploi. Le jour d’un entretien d’embauche, je fus tellement stressé
et surpris de voir que mon futur patron serait une femme que je
n’arrivais pas du tout à faire sortir un mot de ma bouche. Mon ventre
se tordait dans tous les sens, cette femme fut si amusée par mon trac,
qu’elle m’embaucha sur le champ pour mettre, disait–elle, un peu
d’ambiance dans l’entreprise. Il me fallut quand même beaucoup de
temps pour m’habituer à ce que cette très grande femme sophistiquée
soit mon patron.
Tout
allait toujours bien au travail et dans la famille. Mon frère René
s’était marié le 6 juillet 1978 et deux ans plus tard, il nous annonçait
l’arrivée de Gudul, un prénom un peu original à mon goût. C’était
un petit garçon, costaud et sans cheveux. A l’âge de trois ans, il
n’en avait toujours pas. Mais
voilà qu’un jour ma vie bascula. Je vais vous expliquer. Mes
grands-parents Toufchi et Tatinette étaient les personnes les plus
importantes de ma vie, ils étaient toujours là quand ça n’allait
pas, hélas, ils étaient décédés deux ans auparavant. Un jour, quand
je rentrai assez tard du travail, je me réfugiai dans mon fauteuil
devant mon tout nouveau téléviseur en noir et blanc pour regarder les
informations. Lorsque j’allai me préparer un petit en cas, car
je mourais de faim, je vis le tableau de mes grands-parents peint par
mon frère, voler dans le salon. J’étais cloué au sol, pétrifié,
paralysé par la peur. Un cri épouvantable résonna dans la pièce.
Effrayé par ce hurlement, je m’enfuis avec ma voiture qui était, à
cette époque, une superbe mini Cooper rouge. Je roulai pendant des
heures, je m’arrêtai au bord d’une falaise pour réfléchir. Au
bout d’une heure, je décidai de rentrer. Lorsque j’ouvris la porte,
une lumière blanche m’aveugla. Après quelques secondes, je réalisai
que devant moi se tenaient, en pleine santé, rayonnants de bonheur, mon
grand-père Toufchi et ma grand-mère Tatinette. Je n’arrivais pas à
y croire ! Ensuite la lumière blanche s’estompa et je pus serrer
dans mes bras ces deux anges venus on ne sait d’où. Nous discutâmes
toute la nuit. Le lendemain, j’allai quand même au travail, je me dis
qu’il valait mieux ne pas en parler à mes collègues pour le moment.
Chaque soir de la semaine, lorsque je rentrais, je trouvais mon
appartement propre, remis en ordre, ma lessive repassée, mes bérets
rangés par couleur, mon fusil de chasse brillait, accroché au-dessus
de la télévision. Je sentais aussi la bonne odeur de poulet rôti, de
pommes de terre au four et de tarte aux myrtilles encore chaude. J’étais
un prince dans son château. Nous étions déjà vendredi et Tatinette
m’aida à m’habiller. Je partis en vitesse en prenant une tartine
qu’elle m’avait faite. En arrivant devant les portes de
l’entreprise où je travaillais, je fus mis à la porte par des agents
de la police qui me suggérèrent d’aller prendre un bain, et de
m’habiller plus correctement pour sortir dans la rue, alors que ma
grand-mère m’avait choisi mon plus beau costume. Je songeai qu’il
me faudrait résoudre ce mystère.
Après
être rentré chez moi, où tout était propre, bien rangé et le repas
prêt, je décidai de parler avec mon frère de nos grands-parents
Toufchi et Tatinette, il allait être ébahi de les revoir. Je lui téléphonai
avec mon téléphone que je venais d’acheter très cher, c’était très
chic ! C’était sa femme qui décrocha, je lui suggérai de dire
à René qu’il fallait qu’il vienne tout de suite et que j’avais
une très grosse surprise pour lui. Une heure plus tard, il arriva avec
sa Renault 4 CV qui commençait à être très mal en point. Lorsqu’il
entra, il me regarda d’un air de pitié et me demanda d’une toute
petite voix : « Qu’est-ce que c’est que ce dépotoir,
tu vis comme un S.D.F. et pourquoi es-tu en sous vêtements ? -
Tu rigoles, tu ne vois pas que c’est propre, bien rangé et que ça
sent bon la tarte aux myrtilles. - T’es malade, rétorqua-t-il. -
Non pas du tout, je suis en parfaite santé, tout va très bien ! -
Quelle était cette surprise que tu tenais tant à me montrer ? -
Tu ne les vois pas, ils sont juste devant toi ! C’est Toufchi et
Tatinette, nos grands-parents adorés, ceux qui nous donnaient des
caramels ! -
Tu as complètement perdu la boule, mon pauvre ! Viens je t’emmène
prendre un café » conclut-il. René
me prêta son manteau et nous descendîmes de l’immeuble. Lorsque nous
arrivâmes dans le café, mon frère nous commanda deux cafés et deux
crêpes au sucre. Il me fit part de ses inquiétudes car j’avais perdu
du poids et parce que mon appartement était insalubre. Je lui répondis
que tout allait bien, que Tatinette me cuisinait de bons petits plats et
me faisait mon ménage. Je lui fis part aussi de mes intentions de les
faire ressusciter. Toufchi et Tatinette m’avaient expliqué comment
faire. Il fallait que je fasse couler de mon sang sur le lieu
d’accident où ils étaient décédés. René
partit en courant comme une fusée jusqu’à sa voiture, je ne savais
pas ce qui lui prenait de faire cela. Je décidai, dans ce café, que
j’allais ressusciter mes grands-parents aujourd’hui. Je montai vite
chercher mon canif que ma mère m’avait offert pour mon dix-huitième
anniversaire. Je pris ma mini Cooper et j’allai sur le pont saint
Louis. C’était un pont qui n’était pas très fréquenté par
d’autres voitures. Je me plaçai juste sur le lieu de l’accident, je
pris mon canif et m’ouvris les veines. Mon sang coula, coula, je
somnolais. Juste avant de m’évanouir, je vis mon frère arriver avec
des voitures blanches comme de la neige où je devinai plus que je ne
vis dans un grand flou, une croix rouge dessinée sur la portière.
On
me monta de force dans ces voitures blanches. Deux hommes tout habillés
de blanc me tenaient allongé sur une sorte de table. On m’attacha les
mains, les pieds et la tête pour que je ne bouge plus. Ces hommes
grands et costauds m’examinèrent, j’eus même droit à des piqûres.
Je ne savais pas où ils m’emmenaient, mais je me doutais que c’était
très mauvais pour moi. Lorsque la voiture s’arrêta, ces hommes
ouvrirent les portes. Ils me transportèrent dans une immense maison
blanche bien carrée avec des barreaux aux fenêtres, du grillage tout
autour du jardin et encore beaucoup de ces hommes et de ces femmes
habillés en blanc qui accompagnaient des personnes pas très normales.
Une de ces personnes broutait de l’herbe, un autre imitait le coq et
poussait des hurlements affreux. En
entrant dans cette immense maison, j’eus un choc, car des dizaines
de personnes criaient et se jetaient contre les murs ou les
longeaient en tournant en rond. On
me monta dans une pièce, il y avait un lit pour seul meuble et une
couverture. Aucune fenêtre, les murs étaient tapissés de sorte de
coussins. On m’injecta encore toutes sortes de substances, et on me
laissa dans cette pièce. Je suis resté dans cet endroit qui me
semblait de plus en plus petit pendant au moins deux semaines sans
sortir. Un plateau repas m’était donné par une trappe ouverte dans
la porte. Dans cette sorte de prison tout était affreux, la nourriture,
la chambre. Durant ces deux semaines, je n’avais revu Toufchi et
Tatinette qu’une seule fois. Enfin, un jour, on vint me chercher, car
j’avais une visite de mon frère René. Deux hommes bien costauds
m’emmenèrent dans le petit jardin clos où il m’attendait. Il
m’expliqua que c ‘était lui qui m’avait fait interner, car
il s’inquiétait pour ma santé, surtout le jour où j’avais voulu
ressusciter mes grands-parents en m’ouvrant les veines. Je lui
demandai où je me trouvais car personne ne m’adressait la parole et
ne m’expliquait ce que l’on allait me faire. René me répondit avec
colère que j’étais dans un hôpital psychiatrique et que l’on
allait me soigner pour ne plus avoir de vision et pour essayer de
retrouver une vie normale. Pris d’une énorme colère, je tapais en
criant partout que je voulais sortir de cette prison. Les deux personnes
qui m’avaient emmené m’attrapèrent et me ramenèrent dans ce
qu’ils appelaient ma chambre. * Cela
faisait déjà dix-neuf ans que j’étais ici, je n’étais sorti
qu’une seule fois de cette chambre car personne ne venait plus me
chercher depuis la colère piquée lors de la visite de mon frère. J’en
avais assez de rester enfermé dans cette misérable chambre et je pris
une décision très importante qui était de faire la grève de la faim.
Lorsque l’on m’apportait mon plateau, je n’y touchais pas et le
rendais tel qu’il était arrivé : intact. Cela
fait maintenant une semaine que je n’ai rien mangé, mais aucune
personne de cet hôpital ne l’a remarqué. Je me sens de plus en plus
faible et il n’y a que mon vieux compagnon : mon journal intime,
qui le sait. Les objectifs de mon existence me paraissent flous. La vie
me pèse … |
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Docteur Dupond
André Tel.
Fax : 04.74.10.11.12 M.
Chose Gudul 24
Rue d’Italie 73938
Albertville Aix-les-Bains,
le 12 mai 2004 Objet :
Annonce du décès de M. José Chose Cher
Monsieur, Vous
étiez pour lui le seul membre comptant dans sa famille, c’est donc à
vous que revient cette lettre. Votre oncle, José Chose, nous a laissé
avant son décès une lettre, qui nous indiquait qu’il fallait absolument
vous mettre au courant de ce qui lui est arrivé. Dans cette missive,
figurait aussi que tout ce qu’il possédait, il vous le léguait. Le
décès de votre oncle est, en fait, un suicide. Depuis quelques mois, il
avait entamé une grève de la faim. Il ne pesait plus qu’une vingtaine de
kilogrammes, il était très fatigué et d’une pâleur extrême. Tous ses
cheveux étaient tombés et son regard était noir comme la mort, personne
ne pouvait l’approcher. La fin de sa vie a été très dure en raison de
sa très grande solitude. Nous aurions aimé vous retrouver un peu avant
pour vous tenir au courant de l’évolution de son état physique et
mental. Il n’avait plus aucune vision de vos arrières-grands-parents prénommés
Toufchi et Tatinette. Nous étions très satisfaits de ce résultat, mais
après la disparition de ses visions, il a sombré dans une très grande dépression
pratiquement incurable. Nous en sommes profondément désolés. Pour
ce qui est du corps de votre oncle, nous l’avons fait transporter à l’hôpital
principal d’Aix-les-Bains. Si vous désirez lui offrir une cérémonie funèbre,
je vous saurai gré de m’en informer. J’aurai
aussi un manuscrit à vous remettre, dans lequel il relate les différentes
étapes de sa vie ainsi que les sentiments qu’il éprouvait dans notre
service. Il l’a écrit durant ses dernières années de vie. Je
vous prie d’agréer, vous et votre famille, mes plus sincères condoléances. Docteur Dupond |
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Biographie d'Alain Durand, par J.B. F C’est
le 3 mars 1946 que je suis né. Moi, Alain Durand. Je ne me rappelle pas
très bien mes très jeunes
années. A partir de la maternelle, je me souviens de mon entrée en
classe. Cela
faisait un an que mon frère Rémi était né. Depuis la maternelle
j’avais beaucoup d’amis. Le soir, à l’école, c’est mon père
avec son Solex qui venait me chercher. Mon père Samuel était brun, alors
que ma mère était blonde, comme Rémi mon frère. Toutes les semaines
nous allions voir nos grands-parents qui habitaient Rives alors que nous,
nous habitions Lyon. Comme chaque week-end, mon frangin m’embêtait
malgré les « Arrête ! Tais-toi » de maman Alice.
C’est pour vous dire combien ce frère était mon ennemi unique et préféré. Lors
de mon entrée au collège, dès la première semaine, toutes les filles
de ma classe étaient amoureuses de moi. Il faut dire qu’avec ma taille
moyenne, mes muscles de fer et mes yeux verts, je ne suis pas trop mal. Ma
prestance ne m’empêchait pas tous les soirs, de m’acheter des
sucettes et des carambars qui n’amélioraient en aucun cas
ma superbe ligne. Dès
le début du lycée, je m’intéressai moins aux copains, copines, et
plus aux études, cela ne m’empêcha pas d’avoir une petite amie. Je
m’intéressais à l’actualité car mon père, grâce à sa profession
de polytechnicien en anatomie, nous avait acheté un téléviseur en noir
et blanc. Je pouvais alors voir la construction du mur de Berlin, Gagarine
et toutes les figures emblématiques de notre
XXème siècle. J’eus mon baccalauréat haut la main et pus
rentrer dans une école pour poursuivre des études d’ingénieur en
informatique. Et c’est là que j’ai fait la rencontre de Nicolas, un
très grand ami avec lequel, j’ai passé mon diplôme d’ingénieur. Pour
mon service militaire je ne fus pas accepté car j’étais malade, je fus
donc exempté, à mon grand soulagement. Grâce
à mon diplôme et à mes grands-parents qui m’avaient encouragé, je réussis
à obtenir mon premier emploi : ingénieur en informatique dans le
domaine de la recherche, dans l’entreprise L.M.O. « Les Meilleurs
Ordinateurs » qui comptait environ 590 employés. Cela
faisait maintenant sept ans que je travaillais. Je n’avais pas à me
plaindre, mon patron était
d’une sympathie exemplaire et ma collègue, qui était dans le même
bureau que moi, était d’une beauté extraordinaire. Je
vivais dans un petit studio pour économiser un maximum d’argent et
vivre plus tard dans une belle maison comme celle où je vais aller ce
week-end pour le mariage de Rémi, mon frère, qui a maintenant trente
ans. Malgré
la chaleur étouffante la fête se déroula très bien, si bien que nous
nous couchâmes à cinq heures du matin. La chaleur m’empêchait de
dormir. Je décidai donc d’aller étancher ma soif. Je tournai ma
curiosité vers la télé. Celle-ci était allumée alors qu’à trois
heures du matin je l’avais éteinte moi-même.
Le dossier du fauteuil
était éclairé par une lumière blanche. Je m’approchai, lorsque la
lumière se retourna vers moi. Je restai figé. Devant moi, une horrible tête
de mort me pétrifia. Habillé de guenilles, son maigre corps s’avançait.
Mes muscles ne répondaient plus. J’essayais de me souvenir des cours de
zen de maître Dong, mais
cela ne changea rien, la chose monstrueuse brandissait devant moi un
trident muni d’un bâton. A l’autre bout de la fourche était fixée
une énorme faux. Il faisait tournoyer son arme.
Je sentis ma fin proche. Je
me réveillai, couvert de serpentins et de confettis. J’étais trempé.
Ce n’était qu’un cauchemar, me dis-je. J’essayais de me lever en m’accrochant au
fauteuil lorsque je vis la télé, elle était allumée ! Je l’éteignis
avec précaution, une télé en couleur cela ne s’abîme pas. Même
si cela me semblait vrai, je
refusais de croire que ce qui s’était passé la veille était réel. Je
me dirigeai donc vers la cuisine pour me rassasier. A la fenêtre je ne
vis plus la 2 CV de mon père,
preuve qu’il était parti à son travail. Et à ce moment, je décidai
de ne parler de ma mésaventure à personne. Une
voix retentit. Je sursautai : c’était ma mère qui m’expliqua
qu’elle ne voulait pas me réveiller et que les autres invités du
mariage se promenaient. Je
déjeunai et la journée se passa sans encombre. Le
soir je me couchai tôt car le lendemain il me fallait retourner dans mon
studio et reprendre le travail. Je m’endormis donc à neuf heures avec quelques frissons incompréhensibles, comme si ma mésaventure pouvait se répéter. * Voilà
dix jours déjà que je ne dormais plus, que j’étais en retard au
bureau, voilà dix jours que cette chose m’était apparue. Chaque soir,
j’avais peur. Le matin je me réveillais fatigué. Mais ce matin là,
j’étais, par bonheur, pas trop fatigué ou presque, c’est pourquoi,
tout joyeux, je me dirigeai vers la petite cuisine de mon F2. La
clarté du soleil achevait mon réveil. J’ouvris le placard de sapin
clair pour prendre des biscottes que je tartinai abondamment de miel.
Puis, je me dirigeai vers le frigo situé au fond, à gauche de la pièce,
à côté du lave vaisselle. Je remplis de lait mon bol gravé à mes
initiales. Puis, pour achever la préparation de mon petit déjeuner,
j’allai vers le micro onde pour réchauffer mon lait. A
un mètre de la machine, la porte de celle-ci s’ouvrit avec une telle
force qu’elle sortit de ses gonds. Puis une lumière blanche familière
apparut. Je restai pétrifié un instant qui me parut long. Le même
spectre que la dernière fois me réapparut. Il s’avançait exactement
comme la dernière fois. Je ne pouvais plus bouger, mon bol tomba par
terre et s’écrasa dans un épouvantable fracas qui brisa le silence de
ce matin calme. Je réussis, par je ne sais quel miracle, à me ressaisir.
« Qui
êtes-vous ? bégayai-je.
-
Je suis celui qui va te tuer » répondit-il. Il sortit
l’arme. Elle me parut beaucoup plus grosse, si grosse qu’elle me fit
reculer. J’étais épouvanté, les gouttes de sueur coulaient à une
vitesse incroyable. A ce moment, je me suis dit qu’il fallait en finir.
J’attrapai une chaise et je tapai dans tous les sens. J’étais incontrôlable
et fou. Par malheur, le pied gauche de la chaise dévissa la vanne de la
bouteille de gaz qui éclata et me fit traverser la fenêtre du cinquième
étage. Je m’évanouis. Je
me réveillais sur un fauteuil de commissariat. Un gendarme au visage dur
et déterminé me faisait face. « Alors, commença-t-il, vous vouliez tuer des gens en
faisant sauter la résidence ? -
Mais écoutez, m’exclamai-je, je n’y suis pour rien, je ne sais
même pas comment je suis arrivé ici. -
Je crois que je me suis mal exprimé, ironisa-t-il, pourquoi
avez-vous voulu jouer au petit kamikaze ? -
Je ne vois pas de quoi vous parlez. Avant que mon domicile
n’explose, j’ai vu un spectre... -
Ah ! Ah ! Ah ! ricana le gros homme. Je le savais
bien, ce type est fou ! -
Mais pas du tout, protestai-je. -
Nous savons bien
que ce n’est pas de votre faute », se désola-t-il. J’avais
beau leur raconter mon histoire, le gros commissaire ne voulait rien
entendre. Son associé me raccompagna à mon nouveau domicile où je
passai deux semaines à emménager. Un dimanche matin, alors que
j’apercevais une ambulance par la fenêtre, on frappa… Sur le coup, un
frisson remonta ma colonne vertébrale. Est-ce que ce serait le grand
spectre ? J’ouvris… « Bonjour !
Médecin des hôpitaux psychiatriques » annonça un vieux monsieur vêtu
d’une blouse blanche. * Voilà
trois ans déjà que je fréquentais ce fichu hôpital psychiatrique. Ce
matin-là, quelques cumulus cachaient les rayons du soleil qui avaient
pris l’habitude de se faufiler entre les barreaux de ma fenêtre
(histoire de me narguer). Des gémissements dans la chambre d’à côté
me firent lever. Je tirai sur la poignée d’appel du médecin pour ma
visite médicale. En attendant sa venue, et comme tous les matins, je
cherchais un plan d’évasion car je n’en pouvais plus de voir des fous
toute la sainte journée et de sentir cette odeur de transpiration frelatée. Voilà
cinq minutes que je méditais et
comme tous les matins, le médecin entra sans que je n’eusse encore développé
un plan. Il me donna l’autorisation de sortir de ma cellule dont les
murs étaient couverts de mousse. Dans le couloir, pour aller dans la
cantine, un fou complètement maboule courait à quatre pattes. Un autre
rampait comme un ver. Je plaignais les médecins qui essayaient de
s’occuper d’eux. Ce
matin-là, j’étais surexcité. Je décidai donc de descendre par les
escaliers pour ne pas rencontrer Mme Boulon qui avait pris l’agaçante
habitude de monter et de descendre dans l’ascenseur toute la journée.
J’entrai dans le réfectoire pour me restaurer. J’avais déjà envie
de sortir en courant rien qu’à la vue de monsieur Valentino qui
renversait son lait sur sa tête au lieu de le boire. Tout en m’asseyant
je songeais : Voilà deux semaines que ma famille n’était pas
venue me voir. Voilà deux semaines que je me sentais très mal de voir
tous ces dégénérés s’agiter alors que moi, je n’étais pas fou !
Je craignais vraiment de le devenir dans cet asile mal entretenu. Les médecins
me prenaient pour un fou. J’allais incessamment perdre pied. Tout en
revenant dans ma cellule, je fermais les yeux pour ne pas voir la misère
de ce pauvre monde. Une
fois dans ma chambre, je pleurai amèrement tout en déplaçant un
bibelot. Soudain, pris de je ne sais quelle folie, j’arrachai les caméras
de surveillance qui étaient fixées aux quatre coins de mon plafond. Je
renversai mon lit de sapin foncé, pris ma table de nuit où étaient
entreposés mes souvenirs les plus chers et la jetai sur la vitre blindée
qui, sous la force de l’impact, se fissura au centre. L’alarme
retentit, les médecins accoururent. Je me débattis comme un beau diable,
mais sans succès. Ils me maîtrisèrent et me jetèrent dans une des
cellules des cas désespérés. En
guise de punition, je ne pus même pas me rassasier au dîner. Je
m’endormis sur le sol de mousse de la salle sinistre qui ne comportait
aucun meuble. Elle était juste éclairée par une fenêtre située à
quatre mètres du sol. Aujourd’hui, après avoir passé une bonne
dizaine d’années depuis mon internement (dont le responsable demeure
inconnu), je me sens de plus en plus vieux et l’évasion me semble
impossible. J’ai très peur de mourir dans ce trou. Je suis désespéré.
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Leatitia
Benrad (directrice de la clinique) tel :
04/83/73/24/02 à
Henri Durand, 50
boulevards des Capucines 69003
Lyon Le
3 mai 2004 Objet :
Décès de monsieur Alain Durand Monsieur
Durand, J’ai
le regret de vous annoncer la mort atroce de M. Alain Durand et croyez
bien que partage la même tristesse que vous. Depuis plusieurs semaines,
votre cher oncle souffrait de migraines horribles. Il y a une semaine,
malgré des efforts incessants de notre personnel soignant, son cas était
désespéré. Un développement de la maladie d’Alzheimer fut constaté.
Quelques jours plus tard, la rage humaine et le tétanos apparurent. Il
faut aussi ajouter que sa dépression, ces derniers jours n’arrangeait
rien. Deux jours avant sa mort, il ne pouvait déjà plus se lever. Nous
le mîmes en fauteuil roulant, il bavait et criait si fort qu’il faisait
taire ses voisins. Nous savions qu’il lui restait au maximum trois jours
à vivre. Nos pronostics se confirmèrent. Le matin du 1er mai,
il mourut. Nous ne voulons pas vous faire plus de peine, mais je vais tout
de même vous décrire sa dernière journée. Un
soleil radieux brillait à l’horizon de ce 31 avril. La chaleur, déjà
étouffante pour un matin, réveilla M. Durand. Comme votre oncle était
invalide, trois médecins s’occupaient de lui. Votre oncle ne bougea
pas. Toute la journée les dévoués médecins s’escrimèrent comme des
forcenés pour rajouter quelques inutiles minutes de vie au malade, mais
sa fin était proche… très proche. Le soir, M. Durand s’endormit
rapidement, malgré ses souffrances et le lendemain ne se réveilla pas.
Nous ne connaissons pas encore les causes exactes de sa mort, mais des médecins
de garde du décédé, le jour même de sa mort, assurèrent avoir vu un
spectre immaculé se promener dans le couloir du service qui hébergeait
feu votre oncle. Une enquête a été ouverte, mais le résultat reste
incertain. Bien sûr, je ne crois pas aux fantômes, mais d’après le
dossier de votre oncle, il a été interné pour une histoire de
spectre. C’est tout de même une affaire bien mystérieuse. Si jamais
vous savez quelque chose à ce sujet, avertissez-moi ! Je ne souhaite
pas que cette créature surnaturelle vienne perturber nos malades, déjà
bien mal en point. Le cas échéant, je me verrai dans l’obligation de
convoquer des chasseurs de fantômes. Vous
êtes le seul héritier de la petite fortune de votre oncle, sachant que
vos parents sont morts depuis 1 an et qu’il n’a ni femme ni enfant. En
tenant compte de ces circonstances, je
joins à cette lettre les mémoires du décédé qu’il a eu le
temps de rédiger au cours de son séjour parmi nous. Veuillez
accepter mes sincères regrets ainsi que mes condoléances attristées Leatitia Benrad |
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